Sur la forme de la révolution prolétarienne

sabato 1 luglio 2006.
 

 

Sur la forme de la révolution prolétarienne

 

Nous allons commencer par la forme de la révolution prolétarienne, par la façon que la classe ouvrière utilise pour préparer et réaliser la prise du pouvoir, d’où ensuite partira la transformation socialiste de la société. (10)

A la fin du siècle XIXe, au début de l’époque impérialiste du capitalisme, les partis sociaux-démocrates dans les pays plus avancés avaient déjà accompli leur œuvre historique de constituer la classe ouvrière comme classe politiquement autonome vis-à-vis des autres classes. Ils avaient mis fin à l’époque où des gens de talent ou sans talent, honnêtes ou malhonnêtes, attirés par la lutte pour la liberté politique, par la lutte contre le pouvoir absolu des rois, de la police et des curés, ne voyaient pas le contraste entre les intérêts de la bourgeoisie et ceux du prolétariat. Ceux-ci n’arrivaient même pas à concevoir que les ouvriers puissent agir comme une force autonome. Les partis sociaux-démocrates avaient mis fin à l’époque où des grands rêveurs, quelquefois non sans génie, pensaient qu’il était suffisant de convaincre le gouvernement et les classes dominantes de l’injustice et de la précarité de l’ordre social existante pour établir avec facilité la paix sur terre et le bien-être universel. Ils rêvaient de réaliser le socialisme sans la lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie impérialiste. Les partis sociaux-démocrates avaient mis fin à l’époque où presque tous les socialistes et en général les amis de la classe ouvrière voyaient dans le prolétariat seulement une plaie sociale et constataient avec épouvante comme, avec le développement de l’industrie, se développait aussi cette plaie. Par conséquent ils cherchaient comment freiner le développement de l’industrie et du prolétariat et arrêter ainsi la "roue de l’histoire".(11) Grâce à la direction donnée par Marx et Engels les partis sociaux-démocrates avaient au contraire créé dans les pays plus avancés un mouvement politique, à la tête duquel il y avait la classe ouvrière, qui comptait pour sa réussite justement sur la croissance du prolétariat et sur sa lutte pour l’instauration du socialisme et la transformation socialiste de la société tout entière. C’est le début de l’époque de la révolution prolétarienne.(12) Le mouvement politique de la classe ouvrière était le côté subjectif, la superstructure de la maturation des conditions de la révolution prolétarienne, tandis que le passage du capitalisme à sa phase impérialiste en était le côté objectif, structurel.

La classe ouvrière avait déjà essayé de prendre le pouvoir : en France en 1848-50 (13) et en 1871 avec la Commune de Paris (14), en Allemagne avec la participation, sur une grande échelle, aux élections politiques.(15) Il était désormais possible et nécessaire de comprendre comment la classe ouvrière serait arrivé à prendre le pouvoir dans ses mains et à acheminer la transformation socialiste de la société. Les conditions pour aborder le problème de la forme de la révolution prolétarienne étaient enfin réunies. En 1895 dans l’Introduction à la réédition des articles de K. Marx Les luttes de classes en France de 1848 à 1850 [dans Œuvres complètes, vol. 10], F. Engels fit le bilan des expériences que la classe ouvrière avait accomplies jusqu’à ce moment et il énonça, clairement, la thèse que “ la révolution prolétarienne n’a pas la forme d’une insurrection des masses populaires qui renverse le gouvernement existant et pendant laquelle les communistes, qui y participent à côté des autres partis, prennent le pouvoir ”. La révolution prolétarienne a la forme d’une accumulation graduelle des forces autour du parti communiste, jusqu’au renversement du rapport des forces : la classe ouvrière doit préparer jusqu’à un certain point “ déjà au sein de la société bourgeoise les instruments et les conditions de son pouvoir ”. Le développement des révolutions dans le siècle XXe a confirmé, précisé et enrichi la thèse de F. Engels. (16)

Le processus de la révolution socialiste est complexe, il a ses propres lois, il se déroule au cours d’un certain temps.

Celui qui dit que la classe ouvrière ne peut pas vaincre, renverser la bourgeoisie impérialiste et prendre le pouvoir, se trompe (les pessimistes et les opportunistes se trompent). Les succès obtenus par le mouvement communiste pendant la première vague de la révolution prolétarienne (1914-1949) ont confirmé dans la pratique ce que Marx et Engels avaient déduit en théorie de l’analyse de la société bourgeoise.

Celui qui dit que la classe ouvrière peut, facilement et en peu de temps, vaincre, peut renverser la bourgeoisie impérialiste et prendre le pouvoir, se trompe aussi (les aventuristes se trompent : en Italie nous avons déjà vu à l’œuvre les subjectivistes et les militaristes). Les défaites subies par le mouvement communiste pendant la première vague de la révolution prolétarienne (dont en Italie celle du "biennio rosso" [les deux années rouges, 1919-1920]) (…), les dégâts produits par le révisionnisme moderne après qu’il a pris la direction du mouvement communiste dans les années 50 et la défaite subie en Italie par les Brigades Rouges au début des années 80 ont confirmé dans la pratique aussi cette thèse.

La classe ouvrière peut vaincre, renverser la bourgeoisie impérialiste et prendre le pouvoir, mais au cours d’une longue période d’apprentissage, de luttes dures, de luttes les plus diversifiées et d’accumulation de tout genre de forces révolutionnaires, au cours d’un processus de guerres civiles et de guerres impérialistes qui pendant la crise générale du capitalisme ébranlent le monde entier jusqu’à le transformer. Pour mener cette lutte avec succès, pour limiter les erreurs au maximum, il faut comprendre la nature de ce processus, les contradictions qui le déterminent, les lois de son développement.

Ce n’est pas pour un choix à nous mais pour les caractéristiques du capitalisme que le processus de développement de l’humanité se déroule en ces termes-là : soit des guerres entre masses populaires dirigées par des groupes impérialistes soit des guerres entre classe ouvrière et bourgeoisie impérialiste. C’est un fait réel, un fait auquel nous ne pouvons pas échapper sur la base de nos désirs ou de notre volonté sinon en mettant fin à l’époque de l’impérialisme ;(17) c’est un fait qui est mis en évidence par l’analyse des cent ans de l’époque impérialiste qui viennent de passer et par l’analyse des tendances actuelles de la société. La situation est rendue encore plus complexe parce que dans son combat contre la bourgeoisie impérialiste la classe ouvrière doit tenir compte et exploiter les contradictions entre groupes impérialistes. Les deux types de guerres (la guerre de la classe ouvrière contre la bourgeoisie impérialiste et les guerres entre groupes impérialistes) se développent ensemble, en même temps et ils s’enchevêtrent.(18) Le problème est lequel des deux prévaut. Les communistes doivent faire en sorte qu’à la fin la classe ouvrière puisse émerger comme nouvelle classe dirigeante, comme la classe qui a gagné la guerre. D’autre part ils doivent mener la guerre en sorte que les groupes impérialistes se bagarrent entre eux pour qu’ils ne puissent pas s’unir et concentrer leurs forces, au début prédominantes, contre la classe ouvrière. Ceci est un problème de relation entre stratégie et tactique dans la révolution prolétarienne.

En contraste avec la thèse d’Engels (la classe ouvrière peut arriver à la prise du pouvoir seulement à travers une graduelle accumulation des forces révolutionnaires), certains présentent la révolution russe de 1917 comme une insurrection populaire (" assaut au Palais d’Hiver ") pendant laquelle les bolcheviques ont pris le pouvoir. En réalité l’instauration du gouvernement soviétique en novembre 1917 a été précédée par un travail systématique d’accumulation de forces dirigé par le parti qui à partir de 1903 s’était constitué en tant que force politique libre, qui existait et opérait avec continuité en vue de la conquête du pouvoir bien que l’adversaire visât à sa destruction et donc en tant que force politique indestructible de la part de l’adversaire ; elle a été précédée par le travail plus spécifique fait entre février et octobre 1917 et a été suivie par une guerre civile et contre l’agression impérialiste terminée en 1921. (En effet " terminée " c’est une façon de parler parce que la bourgeoisie impérialiste a fait de tout pour étouffer l’Union Soviétique à travers plusieurs et longues manœuvres antisoviétiques tout au long des années 20 et 30 et pendant l’agression nazie de 1941-1945). La révolution russe de 1905 avait eu davantage la forme d’une explosion populaire soudaine, sans être précédée par l’accumulation des forces autour du parti communiste ; mais pas par hasard elle n’avait pas abouti en une victoire.(19)

Une confirmation exemplaire de l’exactitude et de la profondeur de la théorie d’Engels est donnée à travers l’histoire du " biennio rosso " (1919-1920) en Italie. La non-accumulation des forces révolutionnaires dans la période précédente, " l’insuffisance révolutionnaire " du PSI (comme on l’appelait) empêchèrent de transformer en révolution socialiste la mobilisation des masses qui était quand même en large mesure orientée par le PSI (adhérant de l’Internationale Communiste) et par la Révolution d’Octobre et dans laquelle plusieurs étaient les hommes qui le long de la Première guerre mondiale, qui venait de se terminer, avaient appris à manier les armes et à faire la guerre. Certains soutiennent que la cause du manque de succès est due aux dirigeants réformistes (Turati, Treves, Modigliani, D’Aragona, etc.) présents au sein du PSI et à la tête de la CGL (Syndicat de gauche). D’autres soutiennent qu’en général manquèrent des dirigeants révolutionnaires. D’autres encore soutiennent que la mobilisation des masses n’était pas assez ample et révolutionnaire … pour pouvoir s’en passer des chefs. Le problème est ailleurs. Le mouvement socialiste et syndical italien s’était développé seulement dans le domaine parlementaire, syndical, des coopératives et de l’éducation. La plupart des partis de la Seconde Internationale avaient de fait limité leur travail seulement à ces domaines-là. Les révisionnistes et les réformistes avaient carrément revendiqué et justifié théoriquement cette limitation. Le mouvement italien ne s’était pas détaché de la plupart des partis adhérents de la Seconde Internationale. Dans les autres domaines, il avait fait seulement des grands appels et déclarations et alimenté des aspirations généreuses, mais rien de plus. C’était un mouvement capable de multiplier et d’améliorer les voix aux élections, le nombre des représentants élus, les journaux, les coopératives, les organisations syndicales, les associations culturelles, etc. mais incapable d’avoir un seul détachement d’hommes armés ou d’autres instruments de pouvoir dont la classe dominante dispose pour sa domination et dont elle sauvegarde le monopole en toute légalité. Tout le mouvement socialiste et syndical italien avait accumulé beaucoup d’expérience dans les luttes revendicatives et dans les initiatives légales, mais il était incapable d’accumuler des expériences dans les domaines où la classe dominante détenait le monopole. Il dépassait les limites établies par les lois de l’Etat bourgeois seulement dans des initiatives épisodiques, extemporanées, instinctives et circonscrites, dans les émeutes et affrontements de rue causés par l’indignation des masses ou par la provocation des forces de la répression. Ces épisodes entraînaient des parties plus ou moins amples du mouvement socialiste. Mais sa direction demeurait étrangère à ces épisodes et donc elle n’apprenait pas à accomplir sa tâche spécifique ni sur le plan stratégique ni sur le plan tactique. Les réformistes ne voulaient pas la révolution et essayaient de l’éviter avec toutes leurs forces et les maximalistes (G. Menotti Serrati, etc.) ne savaient pas comment faire pour passer de la revendication à la révolution et souvent ils s’abstenaient carrément. Les communistes non plus (Gramsci, Bordiga, Terracini, Tasca, etc.) savaient quoi faire. Ceux-ci alimentaient et poussaient en avant le mouvement des masses et demandaient que “ le parti ”, qu’ils ne dirigeaient pas et que n’aspiraient pas à diriger, commençât une révolution dont personne n’avait une idée précise et dont personne n’avait expérimenté les passages à faire ni préparé les moyens nécessaires.(20) Quand dans la réunion (9 10 septembre 1920 à Milan) de la Direction du PSI et du Conseil Général de la CGL Tasca et Togliatti furent interrogés sur la possibilité éventuelle d’une sortie offensive des usines de la part des travailleurs de Turin : ils durent avouer que “ non ”, ils ne voyaient pas cette possibilité. De manière analogue, les choses étaient aussi allées pendant la grève générale et le lock-out dans l’avril 1920 quand au Conseil National du PSI réuni à Milan le 20-21 avril comme porte-parole des ouvriers Turinois avaient participé Tasca et Terracini. Plusieurs fois dans les années suivantes A. Gramsci dut reconnaître qu’ils n’étaient en aucune manière préparés à une offensive qui eût probabilité de succès, ils ne savaient pas d’où commencer une action pour la conquête du pouvoir et ils demandaient... qu’il le fît “le parti”. Tout le mouvement socialiste italien se caractérisait d’une part pour l’extrémisme et le maximalisme sur le plan tactique, dans les initiatives isolées souvent fruit de l’improvisation et de l’indignation d’individus et groupes auxquels le parti ne dédiait ni formation pratique ni orientation politique et idéologique et encore moins de direction ; de l’autre côté pour le réformisme dans la stratégie : les objectifs généraux du mouvement se représentaient toujours comme requêtes que la direction présentait au gouvernement ou à l’Etat bourgeois que pour leur nature ni ils voulaient ni ils pouvaient les satisfaire. Il n’y avait dans le PSI aucune initiative de parti ni aucune direction relative à l’armement et à la formation au maniement des armes et aux opérations militaires : tout ce qui était fait dans le domaine de l’armement c’était le fruit d’initiatives individuelles ; la formation ou c’était le fruit d’initiatives individuelles ou elle dérivait du service militaire que les travailleurs prêtaient dans les forces armées de la bourgeoisie. Cet état de choses comportait entre autres que le parti n’élaborait pas de conceptions militaires ni tactiques ni stratégiques appropriées au caractère de la classe ouvrière et des autres classes populaires, distinguées de celles de la bourgeoisie et dérivées de l’élaboration de l’expérience militaire qui les masses faisaient au cours des tumultes, des révoltes, des affrontements de rue. Finalement il vaut la peine de rappeler que les deux plus grandes preuves de force du " biennio rosso " (la grève d’avril et l’occupation de septembre 1920) ils commencèrent pour initiative des patrons et que la réponse à leur initiative fut décidée par les organismes dirigeants de la FIOM (syndicat des métallurgistes), à confirmation de l’impréparation du PSI à chaque action révolutionnaire. (21)

Le manque d’une accumulation des forces révolutionnaires, d’un processus au cours duquel la classe ouvrière eût préparé jusqu’à un certain point déjà à l’intérieur de la société bourgeoise les instruments et les conditions de son pouvoir, saute à l’évidence comme cause de la défaite aussi dans les révolutions allemande, autrichienne, finlandaise, hongroise de 1918-1919 : révolutions populaires qui portent à la dissolution du vieil Etat, mais elles ne portent pas à l’instauration d’un nouvel Etat jusqu’à quand le fait la bourgeoisie même. La même chose est confirmée par les événements des autres crises politiques aiguës (Pologne, Bulgarie, Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Turquie, USA, Angleterre, France, etc.) qui marquent la fin de la Première guerre mondiale et les années immédiatement suivantes. 

Aussi l’histoire européenne des décennies suivantes du siècle XXe confirme l’indication d’Engels. Fondamentalement, c’est l’histoire de la guerre entre classe ouvrière et bourgeoisie impérialiste. Toutes les crises politiques au sein de la bourgeoisie et les contrastes entre groupes et Etat impérialistes sont conditionnés par cette guerre sous-jacente. Mais les partis communistes n’affrontent pas la situation dans ces termes. 

Dans les années 30 et 40 “Mieux Hitler que les communistes” ce fut le mot d’ordre des groupes impérialistes français devant l’essor du nazisme en Allemagne et son expansion en Espagne, en Tchécoslovaquie, etc. “Mieux Hitler que le bolchevisme”, “mieux les Japonais que les communistes” ce fut la règle des groupes impérialistes anglais et américains. La disposition des “Etat démocratiques” (USA, Angleterre, France) contraire au gouvernement républicain pendant la guerre civile espagnole (1936-1939) fut déterminée par le même motif. La bourgeoisie impérialiste finalement, malgré la guerre en cours entre groupes impérialistes, mena la Seconde guerre mondiale en fonction anticommuniste, avec l’objectif de démolir le mouvement communiste en Europe et le mouvement antimpérialiste de libération nationale dans les colonies et dans les semi-colonies et d’étouffer l’Union Soviétique. Stratégiquement, la contradiction entre la bourgeoisie impérialiste et la classe ouvrière était antagoniste, la contradiction entre groupes impérialistes était secondaire bien qu’elle aussi antagoniste. Sur le plan tactique, le rapport entre les deux contradictions fut variable pendant toute la Seconde guerre mondiale. 

Si aujourd’hui nous cherchons une réponse à la question : “Pourquoi pendant la première crise générale du capitalisme les partis communistes des pays impérialistes n’ont pas réussi à guider les masses populaires jusqu’à la conquête du pouvoir et à l’instauration du socialisme ?”, la réponse qui vient du bilan de l’expérience est : “Parce qu’ils ne comprirent pas que la forme de la révolution socialiste était la guerre populaire révolutionnaire de longue durée”. A cause de cette incompréhension, ils dispersèrent leurs forces en insurrections échouées (Hambourg - octobre 1923, Tallin - décembre 1924, Canton - décembre 1926, Shanghai - octobre 1926, février 1927, mars 1927) ou ils subirent l’initiative de la bourgeoisie et ses provocations (Allemagne 1919, Hongrie 1919, Italie 1920, Autriche 1934, Asturies 1934) ou ils eurent une ligne incertaine et contradictoire (Allemagne 1933, Espagne 1936-1939). 

Les limites des partis communistes dans les pays impérialistes pendant la première crise générale (1910-1945) en synthèse se réduisent à l’incompréhension de la forme de la révolution socialiste, à ne pas avoir compris (et n’avoir pas traduit en action politique la compréhension) que la guerre civile entre classe ouvrière et bourgeoisie impérialiste était la forme principale de la lutte de classe dans ces années. Les partis communistes des pays impérialistes ne se mirent jamais sur ce terrain comme leur terrain stratégique principal, d’où et en fonction duquel développer tout leur travail, même le travail pacifique et légal. Ils affrontèrent avec force et avec héroïsme la clandestinité et la guerre quand l’adversaire les leur imposa (en Italie et en Yougoslavie en 1926, au Portugal en 1933, en Allemagne en 1933, etc.), mais comme un événement extraordinaire, une pause dans un processus que “il devait” se dérouler autrement. Alors aussi les communistes croyaient que la révolution prolétarienne assumait la forme principale de la guerre dans les colonies et dans les semicolonies, pas dans les “civils” pays impérialistes, bien que la bourgeoisie dans les “civils” pays impérialistes eût montré à plusieurs reprises qu’elle était capable de raser au sol des villes et des pays entiers, de passer pour les armes dizaines de milliers d’hommes désarmés, de recourir à n’importe quel moyen pour conserver le pouvoir, de préférer l’occupation étrangère (“mieux Hitler que le communisme”) que la classe ouvrière au pouvoir. L’histoire de la France en 1935-1940 est exemplaire. Pourtant J. Duclos, un des plus grands représentants du PCF de ces années avec M. Thorez, résume ainsi les devoirs du parti communiste en 1935 en France “mettre comme objectif du mouvement ouvrier la lutte pour la défense et l’agrandissement des libertés démocratiques devant le fascisme”. (22) La ligne du Front prolétaire unique et du Front antifasciste populaire (approuvée par le VIIe Congrès de l’Internationale Communiste, août 1935) dans les pays impérialistes fut appliquée comme ligne d’alliance avec des forces politiques et syndicales et avec des classes sans l’autonomie du parti et sans la direction du parti communiste dans le Front. Par conséquent le parti communiste dut ensuite sans arrêt subir du chantage de la part les partis sociaux-démocrates et bourgeois, dépendre, dans une certaine mesure et en certaines périodes, dans son action vers les masses populaires, de la collaboration des dirigeants et des partis sociaux -démocrates et réformistes, subordonner à leur consentement son initiative, se donner des tâches dont la réalisation dépendait de leur concours, ne pas prendre la direction directement et ne pas concevoir le mouvement comme guerre. 

L’effondrement de l’Etat français du mai—juin 1940, la liquéfaction de différents Etats nationaux devant l’avancée de Hitler après 1938 (Tchécoslovaquie, Autriche, Pologne, Belgique, Hollande, Danemark, Norvège, Yougoslavie, Grèce, etc.), l’effondrement du fascisme en juillet 1943 en Italie, etc. non seulement ils ne portèrent pas à l’instauration de la dictature du prolétariat, mais le parti communiste ne fut même pas apte à donner une direction aux forces populaires que l’effondrement du vieil état libérait : parce qu’il ne s’était pas mis dans des conditions favorables pour pouvoir prendre la tête du mouvement politique dans la nouvelle situation, il ne s’était pas préparé et il n’avait pas accumulé expérience et structures pour diriger la guerre, il n’avait pas conçu la forme de la révolution prolétarienne selon sa nature réelle, il ne s’était pas assez libéré, dans la réalité et non seulement dans les déclarations, de la conception valide au temps de la Seconde Internationale (de parti plus à gauche entre les partis de la société bourgeoise, de parti qui lutte pour faire valoir les intérêts de la classe ouvrière dans la société bourgeoise, de porte-parole dans la société bourgeoise de sa partie la plus avancée). Seulement, au cours de la Seconde guerre mondiale petit à petit les partis communistes prendront dans une certaine mesure la direction des masses populaires dans la guerre contre le nazi fascisme, dans la Résistance. 

En septembre 1943 en Italie manque encore une ligne de parti pour déplacer l’activité sur le plan de la guerre. Des casernes qui pour quelques jours restent abandonnées ou presque sans garnison, des communistes isolés récupèrent des armes, mais pour initiative individuelle ; aux soldats qui à cause de la désertion honteuse du roi et d’une grande partie des officiers se débandent, le parti pour quelques semaines ne donne ni de directives ni il fournit une organisation quelconque ou une direction. Seulement au cours du mois le parti commence à dérouler sa tâche de promoteur, organisateur et dirigeant de la guerre antifasciste avec les grands résultats que nous connaissons. Pour la première fois dans leur histoire, les masses populaires italiennes voient à l’œuvre un parti communiste qui dirige sur le plan stratégique et sur le plan tactique une action politique vaste (qu’il comprend son aspect militaire aussi) : pour ceci nous disons avec raison que la Résistance a été “le point le plus haut jusqu’à présent atteint dans notre pays par la classe ouvrière italienne dans sa lutte pour le pouvoir.” 

En faisant le bilan de l’expérience de la guerre civile espagnole (1936-1937), le Parti Communiste de l’Espagne(reconstruit) est arrivé à la conclusion de “indiquer la voie de la guerre populaire révolutionnaire de longue durée comme la voie vers laquelle menait l’expérience du PCE, mais que le PCE ne découvrit pas”. Et dans cette limite, que le PCE ne réussit pas à dépasser, le PCE(r) voit la cause principale de la défaite des masses populaires espagnoles.(23) 

Afin que l’effondrement d’un Etat porte à l’instauration de la dictature du prolétariat il faut qu’elle soit précédée d’une période de “accumulation des forces révolutionnaires autour du parti communiste” et que l’effondrement de l’Etat bourgeois arrive au cours d’un mouvement dirigé par le parti (l’avancée de l’Armée Rouge en Europe Orientale en 1944-45 ; la Chine de 1949 ; Cuba en 1959 ; les trois pays de l’Indochine en 1975). 

Mao Tse-tung a universellement développé de manière approfondie les aspects universellement valides de l’accumulation des forces révolutionnaires autour du parti communiste dans le parti même, dans le front des classes révolutionnaires et dans les forces armées révolutionnaires et il a appelé guerre populaire révolutionnaire de longue durée le processus dans lequel les forces, que le cours de la vie sociale suscite graduellement, sont recueillies au fur et à mesure par le parti communiste, qui les éduque en les employant dans la lutte (selon le principe de “apprendre à combattre en combattant”), les organise, les réunit de manière qu’elles grandissent jusqu’à prévaloir sur les forces de la bourgeoisie impérialiste. (24) 

Mao a étudié et indiqué aussi les grandes phases à travers lesquelles se développe la guerre populaire révolutionnaire de longue durée. 

La phase de la défensive stratégique : les forces de la bourgeoisie sont prépondérantes, les forces révolutionnaires sont faibles ; la tâche du parti est de recueillir, former et organiser des forces en les employant dans la lutte en évitant cependant d’être contraint à un combat frontal et décisif, viser à préserver et accumuler ses forces ; la bourgeoisie cherche le combat décisif, le parti l’évite en maintenant l’initiative sur le plan tactique. 

La phase de l’équilibre stratégique : les forces révolutionnaires ont atteint les forces de la bourgeoisie impérialiste. 

La phase de l’offensive stratégique : les forces révolutionnaires ont atteint la supériorité par rapport aux forces de la bourgeoisie ; la tâche du parti est de lancer les forces révolutionnaires à l’attaque pour éliminer définitivement les forces de la bourgeoisie et prendre le pouvoir. 

Evidemment il est à nous, les communistes Italiens, de trouver, avec la réflexion et avec la vérification dans la pratique, les passages et les lois concrètes de la révolution dans notre pays. Mais nous trouvons illustrées dans les œuvres de Mao Tse-tung les lois universelles de la guerre populaire révolutionnaire de longue durée, élaborées sur la base de l’expérience de la première vague de la révolution prolétarienne et confirmées par les différents épisodes qui la composent. 

Le maoïsme n’est pas le marxisme-léninisme appliqué à la Chine ou aux semicolonies ou aux colonies et semicolonies. C’est la troisième et supérieure étape de la pensée communiste, après le marxisme (Marx-Engels) et le léninisme (Lénine-Staline). Non sans raison Staline en Leçons sur le léninisme (1924) il avait montré que le léninisme n’était pas l’application du marxisme à la Russie ou aux pays arriérés, mais c’était le marxisme de l’époque dans lequel la révolution prolétarienne commençait. Il n’était plus possible d’être marxiste sans être léniniste. Pareillement aujourd’hui on ne peut plus être marxiste-léniniste sans être maoïste : il voudrait dire ne pas tenir compte de l’expérience de la première vague de la révolution prolétarienne dont Lénine n’a pas pu faire le bilan, évidemment. Mais toutes les tentatives d’affirmer le maoïsme comme troisième et supérieure étape de la pensée communiste s’enlisent en discours et réflexions enfumées s’ils ne s’appuient pas sur la thèse que “la guerre populaire révolutionnaire de longue durée est la forme universelle de la révolution prolétarienne”. Cette thèse émerge clairement des articles Pour le marxisme-léninisme-maoïsme. Pour le maoïsme et Sur la situation révolutionnaire en développement publiés en Rapporti Sociali n. 9/10 (1991) auxquels nous renvoyons pour des développements particuliers. 

Mao Tse-tung n’a pas critiqué dans les années 30 et 40 la conception de la révolution prolétarienne prédominante dans les partis communistes des pays impérialistes, il a indiqué au contraire leur ligne de “élargissement de la démocratie” (pour laquelle nous renvoyons à l’affirmation de J. Duclos déjà citée) comme ligne normale dans leurs circonstances (sauf critiquer les communistes chinois qui voulaient adopter aussi en Chine le mot d’ordre du PCF “Tout à travers le Front” en niant ainsi l’autonomie du Parti communiste chinois dans le Front anti-japonais). Ceci concerne le même ordre de problèmes pour lequel Lénine a défendu l’organisation clandestine stratégique du parti russe en nom de la particularité russe jusqu’à quand l’effondrement de la Seconde Internationale en 1914 montra dans la pratique sa nécessité universelle. Le marxiste tire de la pratique les enseignements qu’elle contient, il n’invente pas de théories. Les idées doivent faire leur preuve dans la pratique, au négatif et au positif, avant d’être rejetées les unes et valorisées les autres. Les partis communistes des pays impérialistes pendant la première crise générale du capitalisme ont accompli des grandes tâches, ils ont mobilisé grandes masses et ils ont donné une contribution importante à la victoire contre le nazi fascisme. Il fallait que les limites de tout ce grand travail fussent montrées par l’incapacité de valoriser les fruits de la victoire sur le nazi fascisme et de prendre le pouvoir, parce qu’elles puissent être comprises et critiquées et la théorie maoïste sur la forme universelle de la révolution prolétarienne accédât à faire partie du patrimoine théorique du mouvement communiste. 

La réalité du déroulement de la révolution prolétarienne dans la période 1914-1945 a montré, aussi dans les pays impérialistes, que les partis communistes ont uni la classe ouvrière et ils ont affirmé la direction de la classe ouvrière sur les autres classes populaires quand et dans la mesure dans laquelle ils ont su organiser les masses populaires dans la guerre contre le régime existant de la bourgeoisie impérialiste. Tant que leur action avait au centre la tentative de convaincre les sociaux-démocrates, les catholiques, etc. à constituer un front commun d’opposition légale, un front revendicatif commun, un front antifasciste commun, leur action a eu résultats insuffisants. Ils ont dirigé travailleurs catholiques, socialistes, sans parti etc. et ils ont aussi contraint leurs dirigeants à les suivre, quand ils se sont mis à la tête de la guerre à laquelle les conditions pratiques contraignaient les masses. 

Mais alors peut-être que nous, les communistes, nous devons proclamer une guerre qu’il n’existe pas, pour pouvoir affirmer la direction de la classe ouvrière ? Quand nous disons que la crise générale actuelle a sa solution dans l’affrontement entre mobilisation révolutionnaire et mobilisation réactionnaire des masses, nous disons que la lutte entre les classes et la lutte entre les groupes impérialistes, elles se déplacent de plus en plus sur le terrain de la guerre. Au-delà des guerres déclarées, une guerre pas déclarée est en cours entre d’une part la bourgeoisie impérialiste qui veut et doit valoriser son capital et qu’à ce but elle doit écraser et torturer millions d’hommes et femmes et de l’autre les masses populaires qui se défendent comme ils peuvent et en ordre éparpillé. La bourgeoisie mène le combat à sa manière, en utilisant les instruments dont elle dispose (l’argent, les loi “objectives” de l’économie, les rapports sociaux “normaux”, l’autorité morale des patrons et des prêtres, la pression des habitudes et de la culture courante, les armes, les corps officiels de l’Etat, les corps extrajudiciaires, les institutions de l’Etat, etc.) pour chasser millions d’hommes et de femmes dans l’état de “sureffectifs”, pour priver des conditions élémentaires de vie - la nourriture, la maison, l’habillement, l’instruction, les soins médicaux, etc. - millions d’hommes, pour dépouiller millions d’hommes de tout ce qu’ils avaient conquis, pour démolir leurs tentatives d’émancipation et d’organisation, pour éliminer leurs dirigeants qui essaient de promouvoir, organiser et diriger la résistance. Au plan mondial, les victimes de cette guerre diffuse et pas déclarée sont innombrables, plus importantes de celles de toutes les guerres déclarées qui se déroulent en même temps, s’il est vrai que seulement les morts pour faim sont de l’ordre de 30 millions par an. Aussi dans les riches pays impérialistes les victimes de cette guerre sont les milliers d’hommes et femmes marginalisés comme sureffectifs, détruits moralement et physiquement, abrutis, dépravés, prostitués, tourmentés et humiliés de mille manières. C’est la célèbre “lutte de classe qu’il n’existe plus” dans les intéressées déclarations de la bourgeoisie impérialiste et de ses porte-parole. Une lutte que nous, les communistes, devons assumer comme nôtre, reconnaître, en découvrir les lois, nous équiper pour la combattre avec succès en portant sur le champ de bataille les forces que le cours de la vie sociale et le développement même de la lutte suscitent. A notre tour, nous devons la combattre à notre manière : en conformité avec la classe qui doit la diriger, avec les classes qui doivent la combattre et d’où nos forces viennent, avec l’ensemble des conditions des rapports entre les classes de notre champ et avec les influences réciproques entre notre champ et le champ ennemi. 

Il s’agit donc d’être présent et protagonistes sur le terrain de cette guerre, de ne se faire pas surprendre des événements, d’orienter notre travail d’aujourd’hui en vue de ce cours inévitable, d’avoir l’initiative en main même si aujourd’hui le rapport des forces est largement favorable à nos adversaires et de comprendre les lois spéciales de cette guerre (qui ne sont pas celles de la guerre en général ni celles des guerres passées ni celles de la guerre impérialiste). Celui-ci est le terrain de combat réel. Sur ce terrain se décident les sorts. En fonction de ce terrain doivent être menées toutes les opérations. Il faut établir une juste hiérarchie stratégique entre nos opérations et puis, de passage en passage, définir la hiérarchie tactique. Il ne s’agit pas principalement aujourd’hui de publiciser la guerre, de convaincre avec notre propagande la classe ouvrière et les masses populaires à se préparer à la guerre. Il ne s’agit pas de “élever la conscience” des masses avec notre propagande. Il s’agit principalement de créer un parti qui travaille et qui soit capable de travailler en fonction de la guerre et qui à partir de cette position dirige et promeuve aussi la lutte des masses au service de la paix contre la guerre impérialiste vers laquelle la bourgeoisie impérialiste, avec toutes ses mesures concrètes, est en train de nous entraîner même si elle la craint et elle en recule, rendue craintive des expériences passées. Evidemment pour réussir cette tâche, il faut entre autres que nous apprenons à voir qu’effectivement la bourgeoisie impérialiste, avec ses mesures concrètes dans le domaine économique, politique et culturel, est en train d’aller vers la guerre impérialiste (la mobilisation réactionnaire des masses) et de mener une guerre d’extermination contre les masses populaires. Celui qui ne le voit pas clairement, ou il se replie sur des illusions opportunistes et conciliatoires (“il n’y aura aucune guerre”) ou “il proclame lui-même la guerre.” 

Pour éviter toute équivoque et vu les précédents des Brigades Rouges qui de la propagande armée pour réunir les conditions pour la reconstruction du parti communiste sont passées à une “guerre répandue” qui existait seulement dans l’imagination des militaristes (où donc elles se sont trouvées seules, abandonnées par les masses, jusqu’à la désagrégation et à la corruption même des forces qu’elles avaient déjà accumulées), il faut dire que la guerre, en tant que forme principale de la révolution prolétarienne, est une guerre spéciale, différente des guerres que l’humanité a connues dans les siècles précédents. C’est une guerre de nouveau type parce qu’elle a un objectif différent de toutes les guerres précédentes : la conquête de la part de la classe ouvrière de la direction des masses populaires dans leur mobilisation contre la bourgeoisie impérialiste pour l’instauration du pouvoir de la classe ouvrière et du socialisme. Elle se déroule dans ses propres formes. La compréhension des formes spéciales de cette guerre en notre pays, l’élaboration et l’application de lignes et méthodes conformes à elles et sa direction, elles constituent la tâche spécifique du nouveau parti communiste. 

 

<<<< >>>>